Quelle est la place de l’errance dans la stratégie nationale sur la démence?

An elderly woman

Imaginez que vous disposiez d’une énorme base de données contenant des renseignements sur une population ayant un problème de santé qui connaît la croissance la plus rapide — des renseignements qui pourraient aider ces personnes à vivre une vie plus sûre et plus satisfaisante. Imaginez ensuite que vous ne disposiez pas des fonds nécessaires pour faire quoi que ce soit avec ces renseignements. C’est le dilemme dans lequel se trouve actuellement MedicAlert Fondation Canada par rapport aux personnes atteintes de démence qui errent et se perdent.

On estime que les coûts des soins de santé et les dépenses pour les aidants des Canadiens atteints de démence s’élèveront à 16,6 milliards de dollars d’ici 2031. Pourtant, la stratégie nationale sur la démence publiée pour la première fois par le gouvernement fédéral en 2019, ne mentionne pas l’errance.

Elle contient des objectifs et des financements pour la prévention, le traitement, la recherche d’un remède et la sensibilisation du public à la démence, autant d’éléments importants. Mais en ce qui concerne la réduction des risques et la sécurité personnelle, le seul risque auquel le rapport fait référence est le risque de survenue de démence.

Le fait est que près de 600 000 Canadiens vivent actuellement avec la maladie d’Alzheimer ou d’autres formes de démence, et plus de 120 000 autres Canadiens reçoivent un diagnostic chaque année. Chaque personne mérite d’être soutenue et soignée, quel que soit le stade d’évolution de sa maladie.

Il est essentiel que le gouvernement fédéral se penche sur la réduction des risques au sein de la population existante de personnes atteintes de démence, car les comportements tels que l’errance et la fugue, qui peuvent entraîner une désorientation et une perte, sont plus fréquents qu’on ne veut bien l’admettre. On estime qu’environ 60 % des personnes atteintes de démence erreront au moins une fois au cours de l’évolution de leur maladie. La plupart de celles qui errent le feront à plusieurs reprises. Plus inquiétant encore, une étude a révélé que 30 % de tous les incidents de disparition impliquant des personnes atteintes de démence ont entraîné la mort.

En revanche, de nouvelles recherches menées par MedicAlert et des scientifiques de l’université de Waterloo indiquent que lorsque MedicAlert a été sollicité pour un incident d’errance, 91 % des personnes ont été ramenées chez leurs proches sans aucun dommage. L’impact que les données sur l’errance peuvent avoir sur la sécurité des personnes est évident.

Malgré un nombre relativement important de recherches, l’errance reste un comportement mal compris et imprévisible, en particulier par les aidants. C’est pourquoi la menace est souvent ignorée jusqu’à ce qu’il soit trop tard et qu’un incident d’errance se produise — ce qui est non seulement dangereux pour l’individu en question, mais aussi incroyablement stressant pour les aidants et coûteux lorsque les efforts de recherche et de sauvetage sont mis en oeuvre.

L’ajout de l’errance dans la stratégie nationale permettra de donner la priorité au financement public de la recherche sur le sujet, ainsi qu’au soutien des outils existants et éprouvés qui atténuent les effets néfastes de l’errance.

Pourquoi l’errance est-elle ignorée?

Il n’est pas vraiment surprenant que l’errance soit souvent ignorée dans les stratégies de lutte contre la démence. L’un des grands mystères pour les aidants est la rapidité ou la lenteur de l’évolution de la maladie d’Alzheimer et des autres démences, de la déficience cognitive légère à la déficience grave, qui s’accompagne généralement d’une détérioration physique. Les stades se chevauchent souvent, sans que les symptômes ne soient clairement délimités. Certains stades peuvent durer des années avant d’évoluer, ce qui donne à la maladie une trajectoire beaucoup moins prévisible que celle de nombreuses autres maladies, et l’errance existe au milieu de tout cela, souvent sans qu’on en parle avant qu’elle ne se produise.

L’errance est également un terme qui recouvre une variété de comportements allant d’une perturbation marginale à la mise en danger de la vie du patient. Certaines personnes veulent simplement se promener et revenir indemnes; d’autres présentent ce que l’on appelle un comportement de fugueur, qui consiste à chercher à partir par tous les moyens possibles, même si cela signifie briser une fenêtre et y grimper pour sortir. Le type de comportement que votre proche pourrait manifester, le moment où il pourrait commencer et le nombre de fois où il pourrait se produire sont aussi perplexes et inconnus pour l’aidant moyen que le fait de savoir s’il va errer ou non.

Comme c’est le cas pour de nombreuses maladies et affections ayant une incidence sur les fonctions cognitives, les personnes atteintes de démence sont invisibles tant qu’elles ne sont pas perçues comme un fardeau pour la société. En vérité, il est beaucoup plus facile d’ignorer ce qui est invisible que de consacrer des ressources à quelque chose qui peut ou non se manifester. Mais si l’on ne se concentre pas sur l’errance dans toute sa complexité et si l’on ne dispose pas de l’infrastructure nécessaire dans notre système public, il est beaucoup plus coûteux de réagir à chaque incident lorsqu’il se produit.

Le véritable coût de l’errance

Selon TKTK, le coût moyen d’une opération de recherche et de sauvetage au sol est d’environ 15 000 dollars par cas*. Si une personne est désorientée et se perd une fois par semaine, avec l’intervention de la police ou des services de recherche et de sauvetage, les coûts s’accumulent.

Mais il ne s’agit là que du coût pour le système; le coût pour les familles est astronomique.

Lorsque le comportement d’errance commence, la vie de l’aidant change fondamentalement. Le stress lié au fait de ne pas comprendre ou de ne pas pouvoir prévoir ces incidents n’est pas seulement accablant, il rend une vie normale intenable. Les aidants familiaux peuvent être dans l’incapacité de travailler alors qu’ils tentent de s’occuper de leur parent ou de leur conjoint, ou ilspeuvent avoir besoin de placer la personne dans un établissement de soins de la mémoire — l’une ou l’autre option pouvant coûter des dizaines ou des centaines de milliers de dollars.

MedicAlert Fondation Canada est dans une position unique pour faciliter la recherche innovatrice sur le sujet du comportement d’errance grâce à son trésor de données longitudinales sur les abonnés. Nous disposons de la plus grande base de données au monde sur l’errance. Une équipe de scientifiques de l’université de Waterloo utilise déjà ces données dans le cadre de ses recherches afin de mieux comprendre les schémas comportementaux liés à l’errance et de pouvoir ainsi mieux prédire si et quand elle risque de se produire, ainsi que les personnes concernées, par opposition à celles qui seront épargnées.

Cependant, l’information la plus importante qui ressort des données de MedicAlert est peut-être l’avantage intrinsèque qu’un abonnement au programme Retrouvés sains et saufs apporte aux personnes atteintes de démence, ainsi qu’à leurs aidants. Grâce aux renseignements personnels essentiels conservés en toute sécurité dans la base de données des renseignements médicaux des abonnés de MedicAlert, qui comprend des détails tels que les déclencheurs personnels, les surnoms, les identifiants visuels et les détails les plus importants des incidents d’errance précédents, l’abonnement peut contribuer à garantir la réunification de la famille lors d’un incident de disparition.

L’importance de la prévention

Alors que les chercheurs affinent les données de MedicAlert et découvrent d’autres modèles, imaginez combien d’argent pourrait être économisé en analysant la probabilité d’errance pour chaque personne atteinte de démence et en informant ensuite les aidants, après un premier diagnostic de démence, sur les mesures à prendre pour réduire ce risque. La prévention doit se poursuivre après l’apparition de la démence. Chez MedicAlert, notre hypothèse est que nous pouvons changer la trajectoire non seulement de la vie du patient, mais aussi de la vie de l’aidant si nous pouvons mettre en place ces mesures préventives en amont au lieu de traiter la crise en aval.

Les pouvoirs publics doivent également reconnaître ce potentiel, par le biais d’un soutien politique et financier. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’intégrer l’errance dans la stratégie nationale sur la démence et de lui accorder l’attention qu’elle mérite. Grâce à la recherche continue et aux renseignements exploitables fournis par les équipes scientifiques, nous pouvons mettre un terme à l’errance.

*Neubauer, N. A., Miguel-Cruz, A. et Liu, L. (2021). Strategies to locate lost persons with dementia: a case study of Ontario first responders. Journal of Aging Research, 1–9.

https://doi.org/10.1155/2021/5572764